Le livre en question avait fait beaucoup de bruits à l'époque et réitérait, à qui ne voulait pas l'entendre, l'importance des méthodes éducatives alternatives dans les apprentissages. Avec l'argument d'autorité des neurosciences, l'auteure avançait le résultat de son expérience dans une école plutôt populaire, et publique, en parlait de conférence en plateau télé avec beaucoup d'enthousiame. Sur sa chaîne youtube, ou son site d'une voix douce et presque détachée, le filmait et commentait en voix off les différents ateliers, maths, géographie ou langage.
A l'époque, elle avait déchaîné pas mal de passions, et quelques polémiques. Elle avait présenté, ultime argument vendeur, son expérience comme une sorte d'infiltration dans le milieu de l'éducation nationale. Elle avait inocculé "ses" outils et soumis ses élèves à des tests plutôt concluants et le ministère n'avait pourtant pas reconduit l'expérience. Chez les professeurs des écoles, qui avaient déjà accompli ce type de travail, en jonglant entre les contraintes et les envies d'aller plus loin, l'émotion était intense. Le sentiment d'avoir été ignorés, une amertume mâtinée d'envie. Beaucoup d'experts avaient mis le doigt sur les incohérences et les failles de ce que présentait Céline Alvarez. Beaucoup avaient aussi profité de cela pour désacraliser le mythe Montessori, dont on avait découvert par exemple une correspondance avec Mussolini...Je vous renvoie à ce sujet à cet article très complet sur le site Cairn de Laurence de Clock dont je cite ici l'introduction:
Phénomène médiatique de l’année, l’expérience menée par Céline Alvarez durant trois ans dans une école primaire d’une banlieue populaire de Paris s’est faite sur la base d’un cocktail inédit de méthode Montessori et de neurosciences. L’enthousiasme suscité par son livre, Les Lois naturelles de l’enfant, tient au caractère spectaculaire des résultats affichés, avec des taux de réussite très élevés, y compris de manière précoce et chez des enfants peu favorisés. Mais, à y regarder de plus près, tout est loin d’être aussi rose. La « méthode », très gourmande en matériel et en encadrement, se révèle intransposable dans un contexte scolaire plus large ; les prétendues « lois naturelles de l’enfant » relèvent d’un salmigondis mêlant sciences cognitives et philosophie new age, mais d’où la pédagogie est à peu près absente ; et, surtout, l’expérience a servi de cheval de Troie aux appétits entrepreneuriaux, qui se nourrissent des échecs de l’école publique pour tenter d’y mener un business au potentiel fort lucratif.
De Cock, L. (2017). Céline Alvarez, le business pédagogique: Enquête sur un bestseller controversé. Revue du Crieur, 6(1), 102-115.
Mais aujourd'hui, je souhaite vous parler de ce livre, de ce que cela m'a appris, toutes proportions gardées. Je l'avais lu, il est vrai, une première fois, d'une traite et j'en avais été très gênée. Ce n'est qu'une seconde lecture, ou plutôt écoute, dans une version audiolib lue par Céline Alvarez elle-même qui m'a permis d'entrer un peu mieux dans son univers.
Ce que je l'ai pas aimé d'abord était cette impression que l'auteure évoquait très peu, presque pas, les scientifiques à qui elle doit le matériel utilisé. J'avais franchement l'impression de lire l'avis d'une usurpatrice, disons-le. J'ai bien dû croiser le nom de Montessori mais rarement, peut-être en préface.L'ouvrage progresse par paliers, les différentes compétences que l'enfant peut acquérir grâce à un matériel à sa disposition, grâce surtout à l'interaction avec ses pairs et à l'attitude un peu en retrait de l'enseignant. Pourtant ces étapes correspondent très exactement aux différents domaines d'apprentissage selon la méthode Montessori. Très précisément utilisée, mais très peu évoquée, du coup. Il m'a semblé que cette forme de silence, d'omission était voulue, et cela m'a beaucoup gênée.
Je comprends les réactions des enseignants et lecteurs qui avaient l'impression que quelqu'un avait enfoncé des portes ouvertes.
Un deuxième aspect m'a beaucoup gênée, c'était le recours quasiment systématique aux neurosciences, et aux résultats des différents tests, pour prouver la validité de son expérience. Il est vrai toutefois que c'était l'objectif, démontrer en quoi cette expérience était exceptionnelle, même si elle n'en était pas novatrice, quoi qu'on en dise. Ce côté un peu docte, démonstratif, m'a également beaucoup gênée dans ma lecture, et j'aurais été convaincue avec moins d'arguments et de chiffres, plus de subtilité, d'empathie. Le titre est explicite, il s'agit bien d'éléments évidents et indiscutables, et on n'est pas mieux, dans sa posture que les dirigeants ou les décideurs, du coup...Car il ne s'agit pas de faire des enfants des singes savants, et obéissants. Les émotions, pourtant au coeur des apprentissages, étaient un peu reléguées au fond.
Qu'en penser alors? Dire que le livre est décevant serait exagéré. Il a eu le mérite de jeter un pavé dans la mare. Après tout, cela prouve que ces pédagogies alternatives ne sont pas réservées aux IEF, aux écoles privées. Cela prouve car les résultats des tests sont là pour le démontrer, et on ne peut nier leur intérêt dans ce type de proposition.
Je retiens pour ma part à quel point le retrait de l'enseignant et son attitude qui laisse la part belle aux besoins de l'enfant peut être à la fois difficile et important. Je ne sais pas si j'aurais été capable de faire cela, pour ma part, en tant que parente ou qu'enseignante. Je note aussi à quel point l'interaction avec les enfants plus âgés est précieuse et si elle est impossible dans un système traditionnel, elle est cruciale dans une fratrie ou au moins un groupe. Les projets communs, l'expérience d'un enfant pus âgé sont vraiment essentiels. Je le vois et je l'apprends tous les jours quand je vois comme ma cadette apprend vite grâce à son frère aîné! Je me souviens aussi du "chantage" quasiment fait à des parents dont l'enfant se gavait d'écrans avant de venir et après l'école. En quelques semaines, l'enfant qui avait d'énormes troubles d'attention...était entré en lecture! Les vidéos sont un complément essentiel au livre, on y montre les gestes et la posture de l'adulte, la façon dont le matériel peut-être présenté.
En résumé, je dirais que la lecture est vraiment instructive pour celui qui n'a pratiquement jamais entendu parler des méthodes alternatives.
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